Myrrha

"Hélas! dit-elle, où vont s'égarer mes pensées? Que veux-je entreprendre? Ô dieux que j'implore, ô piété filiale, ô droits sacrés de la nature, empêchez un tel sacrilège! Souffrirez-vous un si grand crime? Mais est-ce un crime en effet? Non, le sang ne condamne point les feux dont je brûle. Eh! les animaux ne s'assemblent-ils pas sans choix? est-ce une honte pour la génisse de s'accoupler avec son père? Le cheval fait de sa fille son épouse; le bélier rend féconde la brebis qu'il a engendrée; l'oiseau, de la semence de celui par qui il fut conçu, conçoit lui-même. Heureux privilège! l'homme s'est fait des lois bizarres dont la jalouse rigueur défend ce que la nature autorise; et pourtant, on l'assure, il est des contrées où le fils et la mère, le père et la fille, enchaînés par un double lien, voient l'amour accroître leur tendresse. hélas! que ne suis-je née en ces lieux! C'est le hasard qui m'opprime, le hasard de la naissance. mais pourquoi retomber dans mes funestes pensées? Loin de moi, espoirs interdits! Oh! ce prince mérite bien d'être aimé, mais d'être aimé comme un père. Eh quoi! si je n'étais pas la fille de Cinyras, du noble Cinyras, je pourrais dormir dans ses bras. Ainsi donc c'est parce qu'il m'est tout qu'il ne m'est rien. Tout mon malheur est de lui tenir de trop près. Une étrangère serait plus heureuse.
Ah! Fuyons, quittons les champs de la patrie! Etouffons mon crime et mon amour! mais j'aime, et un mal trompeur me retient. Etre là, auprès de Cinyras, le voir, le toucher, lui parler, sentir sa bouche sur la mienne, c'est beaucoup à défaut d'autre espérance. D'autre espérance? Et que peux-tu prétendre au-delà, fille impie? Quoi! ces noms, ces droits que tu profanes, ne les connais-tu pas? Dis, seras-tu la rivale de ta mère, la fille de ton amant, la soeur de ton fils et la mère de ton frère? Ne crains-tu donc pas les soeurs aux cheveux hérissés de sombres serpents ni les torches vengeresses, menaçantes, qu'elles agitent devant les yeux des coupables épiuvantés? Ah! tant que ton corps est encore exempt de souillure, ne souille point ton âme. ne souille pas par un accouplement interdit les lois de la nature toute puissante. Suppose même que tu y sois décidée: tu as contre toi la force des choses. Il est trop bon père, lui, trop attaché au sens du devoir. Oh! comme je voudrais qu'il partageât mon égarement!"
Myrrha, Les Métamorphoses, livre 10, Ovide.
0 Comments:
Post a Comment
<< Home